Cette semaine, ma réflexion est partie d’une phrase d’un yogi, Yogi Bhajan, qui disait : « Nous ne sommes pas des êtres humains vivant une expérience spirituelle, nous sommes des êtres spirituels vivant une expérience humaine ». C’est une manière simple, directe d’expliquer notre véritable identité d’être humain. Simple et percutante car, à la lumière de cette phrase, tout notre point de vue sur la vie peut changer… et par extension, toutes nos manières d’agir peuvent évoluer différemment.
Le système philosophique du yoga, décrit dans le texte des Sāmkhya Kārikā, ne nous dit pas autre chose : notre corps de matière dense n’est que le réceptacle, le véhicule d’une entité spirituelle, le puruśa. Ce puruśa n’a pas d’autre moyen de vivre que celui de s’incarner, que celui de se glisser dans un corps humain. D’ailleurs, puruśa veut dire « habitant de la cité ». La vie, c’est ça : un spirituel (puruśa), qui s’unit à une matière (prakŗtti). La matière n’est là que pour servir d’habitat au spirituel.
Seulement, nous vivons comme si nous n’étions que matière. Comme si la matière était la finalité de nos vies. Et nous nous oublions dans la vie matérielle, nous faisons de la matière le but ultime de tous nos actes. Et nous oublions notre identité profonde. Nous passons à côté d’elle.
Les yoga sūtra nous l’expliquent : la cause de nos souffrances, c’est l’amalgame que nous faisons avec la matière (YS II 17). La manifestation recouvre notre conscience.
- C’est ainsi que nous pensons être ce corps et nous désolons quand il vieillit, en cherchant des moyens de le garder jeune, tout du moins dans son apparence.
- Nous nous identifions à notre profession, notre métier. Je me souviens de la première fois que j’ai été licenciée. J’avais à peine 30 ans, j’étais commerciale. On m’avait licenciée car la société dans laquelle je travaillais réduisait son personnel. J’ai été malade pendant 2 jours. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Plus de travail, plus de Sylvie. Qu’est-ce qu’il en reste aujourd’hui ? 30 ans après ? Rien. Je ne me souviens même plus de ce travail, de cette société, de cette douleur ressentie. Preuve que la réalité n’était pas dans ce travail. Mon « je » de commerciale avait pris toute la place. Ne plus avoir ce job, c’était voir disparaître ce « je ». Mais je suis toujours vivante. Alors, qu’est-ce qui a disparu ?
La confusion entre le Soi véritable et la matière est constante. Et – selon le yoga – elle est même indispensable à notre libération. En clair, le Yoga sūtra nous dit que la confusion entre matière et spirituel doit être vécue… pour s’en libérer (YS II 23). La manifestation doit recouvrir la conscience pour pouvoir la révéler ensuite. Ramana Maharshi, grand yogi indien du XXème siècle raconte sa libération de la matière lorsqu’il a connu l’état de samādhi : une peur irrépressible de la mort l’a envahi un jour alors qu’il avait 17 ans. Et c’est cette peur, signe de la fusion du mental avec l’idée de la mort qui lui a permis de s’en détacher complètement. Voici ce que dit Ramana Maharshi : « Je sentais « je vais mourir ». Le choc de la peur de la mort me fit immédiatement « introvertir ». Ce corps est inerte et privé de vie. Mais je sens la pleine force de ma personnalité et même le son « je » en moi-même, à part du corps. Aussi, « je » suis un esprit, une chose transcendant le corps. Le corps matériel meurt, mais l’esprit le transcende et ne peut être touché par la mort. De ce fait, je suis l’esprit immortel. Cette vérité m’apparut avec une grande force ».
De la même manière, Eckhart Tolle, enseignant spirituel canadien, d’origine allemande témoigne de sa libération de la matière. A l’âge de 29 ans, après avoir souffert de longues périodes de dépression à tendances suicidaires, il fait l’expérience d’une transformation intérieure. « Je ne pouvais plus vivre avec moi-même un instant de plus. Et de ceci sortit une question sans réponse : Qui est ce « je » qui ne peut plus vivre avec son ego ? Qu’est-ce que l’ego ? Je me sentis plongé dans un vide ! Je ne comprenais pas alors que, ce qui se passait, c’était que l’ego de l’esprit, avec sa pesanteur, ses problèmes, qui vit entre les regrets du passé et la peur du futur, s’était effondré. Il s’était dissout. Le lendemain matin, je me suis réveillé et tout était si paisible. La paix était là car il n’y avait pas d’ego. Juste la sensation d’une présence, un « état d’être », juste observant et regardant. »
Pour que le Je véritable vienne à la conscience, il faut vivre la fusion, la confusion, l’amalgame des deux entités : la matière dense, le petit je et le spirituel, le « hors matière », le grand Je. Ce grand Je est notre identité profonde.
Le texte des Yoga sūtra nous le dit clairement dans le sūtra II 18 : c’est l’expérimentation de la matière qui permet de comprendre qui je suis vraiment, qui permet de connaître puruśa mon identité profonde. La vie n’est faite que pour ça : pour nous permettre de connaître qui je suis. Ainsi que le disait Krishnamacarya : « le but véritable et ultime du yoga est de connaître qui je suis et ce que je suis »
Je terminerai cette courte réflexion par la citation d’un philosophe indien du XVème siècle qui disait : « Par le yoga, chacun peut explorer son être intérieur avec une précision scientifique pour comprendre sa nature, sa structure et son fonctionnement. Le but est de réaliser la connaissance du Soi en développant notre sensibilité et en aiguisant notre clarté de vision »
C’est un des effets de la méditation : apaiser le mental, pour le transcender. Connaître la réalité du mental pour aller au-delà de sa matière, pour toucher du doigt son Moi profond. Pour comprendre que nous ne sommes pas finis, mais infinis, que nous ne sommes pas mortels, mais éternels. Pour sentir que nous faisons partie d’un tout. Que nous sommes une partie de la force incommensurable de l’Univers.