Agir sans agir
Le yoga, comme de nombreux autres points de vue sur le monde, nous interroge sur notre manière d’agir. Dans cette voie spirituelle, l’action est présentée comme un piège emprisonnant l’ego dans la spirale de la souffrance et la ronde des renaissances. Mais, dans le même temps, l’action est envisagée comme un moyen de libération individuelle. Il suffit pour cela de l’utiliser de façon juste.
C’est ce que nous dit le Yoga sūtra dans le deuxième chapitre (sūtra II 18) : la vie est un terrain que nous devons expérimenter avec toute notre humanité (bhoga) afin de nous libérer (apavarga). Nous libérer de notre mental conditionné, de notre ego limitant, de notre ignorance qui nous fait passer à côté de la réalité de la vie.
Cette question primordiale de l’action se trouve aussi au cœur de la Bhagavad Gītᾱ, texte mythique du IIème siècle avant JC, qui développe longuement l’idée que rien n’échappe à l’action, mais que l’acte peut nous libérer. De quelle manière ? Selon la Bhagavad Gītᾱ, il suffit de changer sa relation à l’action et de l’investir différemment. Il s’agit de poser des actions… sans être dans l’action. D’agir… sans être agissant.
Cette idée de l’action sans action m’interpelle au plus haut point, car je sens que ce concept est une des grandes clés pour nous, les occidentaux du XXIème siècle. Dans cette vision yogique, l’action n’est pas seulement une préparation, elle est elle-même une voie de libération.
« Celui qui distingue le non-agir au sein même de l’agir et l’agir au sein même du non-agir, celui-là est sage entre les hommes. Unifié en lui-même, il s’acquitte de toutes ses tâches» (BG IV 18) : nous pouvons visualiser notre propre fonctionnement et nous observer dans toutes nos activités. Ainsi, nous pouvons réaliser combien le témoin en nous ne prend aucune part à l’action. Il est inactif, et cela au cœur même de l’activité la plus trépidante. L’individu capable de prendre du recul, d’observer l’activité dans la non-activité, et la non-activité même dans l’activité la plus intense, est un être, sinon réalisé, du moins intelligent et plein de sagesse. Cette faculté de s’observer comme un acteur sur la scène de la vie nous délivre des préoccupations égoïstes qui nous lient aux caprices de l’existence. Les activités entreprises sans désir personnel, avec dévotion, en offrande à un idéal, nous purifient, et l’intellect acquiert une acuité nouvelle.
Souvent, la manière dont nous planifions l’avenir est une entrave à notre liberté. Habités par l’attente fiévreuse d’un résultat, nous faisons notre possible pour modeler le futur selon nos désirs. Cette attitude nous prive de toute joie et l’anxiété concernant le fruit de l’action dissipe notre énergie. Les résultats appartiennent au futur et trop s’en préoccuper nous détourne du présent. Le sage agit sans anticiper le futur et sans entretenir d’anxiété vis-à-vis du résultat. Agissant sous l’inspiration d’un idéal, il met toutes ses capacités et sa concentration dans la réalisation du projet qu’il a soigneusement préparé, écartant pendant le travail toute peur, toute préoccupation quant à l’issue finale.
Le Yoga ne nous propose pas d’agir sans faire de projet. Ce serait aller contre le plus élémentaire bon sens. Selon lui, la solution pour « vivre mieux » ne vient pas tant de l’action elle-même que de l’état d’esprit dans lequel on s’engage. C’est l’attitude intérieure qui permet de réaliser le non-agir au cœur de l’agir. L’action libère car elle nous donne la possibilité d’accéder à l’état de Yoga. Il nous suffit juste de changer la manière dont nous investissons nos actes.