Ces derniers temps, j’entends pas mal de réflexions du genre : « Finalement, ce n’était pas si mal que ça le confinement » ou : « Dans un sens, je m’étais habitué à vivre confiné, la reprise d’une vie plus « normale » n’a pas été évidente ». Moi-même, il m’a fallu du temps pour ressortir, revoir du monde. Mon système s’était habitué au rythme donné par le confinement. J’avais pris un certain pli, comme un vêtement que l’on repasse, à qui on donne un pli dont on ne veut plus. Il faut ensuite passer et repasser le fer pour l’enlever.
Ce phénomène est un fonctionnement extrêmement important de notre système. Les textes de yoga l’expliquent très bien et c’est ce dont je vais vous parler aujourd’hui.
Vous le savez, l’état de yoga est un état de paix mentale où les mouvements du psychisme sont arrêtés. Les pensées, les émotions s’apaisent pour arrêter de filtrer la réalité du monde. Pour arrêter de nous diriger et d’apporter de la souffrance dans nos vies. Pour y arriver, le yoga propose de nombreux outils dont celui de la connaissance, ce qu’on appelle le jňana yoga. Le yoga de la connaissance, c’est arriver à comprendre comment fonctionne le monde en commençant par nous-mêmes. C’est s’observer (svādhyāya) afin de voir comment nous fonctionnons, afin de voir comment fonctionne notre mental. Sans connaissance de notre système, comment arriver à bien le piloter ?
Voilà ce que nous dit Pataňjali : une des 5 activités de notre mental est la mémoire (YS I 11). Nous avons la capacité d’emmagasiner des informations et de les rappeler au présent. Si je vous écrit en français, c’est que mon mental a mémorisé le français. Si vous me comprenez, c’est que, vous aussi, vous avez mémorisé le français. Sans mémoire, point d’apprentissage. Cela paraît évident. Mais il faut bien prendre conscience que c’est la base de toutes nos actions : nous agissons de telle ou telle manière parce que le mental a mémorisé un mode d’action. Nous mangeons avec des couverts parce que nous avons appris à manger ainsi. On nous a dit que manger avec les doigts, c’est sale. En Inde, manger avec les doigts est la norme. Chacune de nos actions se fait parce que notre mental a reçu une information et l’a mémorisée. Ensuite, quand nous devons agir, le mental envoie l’information en mémoire au système, qui agit dans la direction donnée. Ainsi, toutes nos actions (ou quasiment toutes) ne sont que des répétitions de mémoires, de schémas mentaux mémorisés.Rien de grave en soit. Il faut juste prendre conscience de ça. Il faut juste comprendre comment nous fonctionnons.
Le mental n’est formé que de ça : d’imprégnations du passé. Tout est apprentissage. Cela ne veut pas dire que le mental est figé, non. Puisqu’il va apprendre toute sa vie. Chaque action que nous faisons, il l’imprime. Avant le confinement, j’étais incapable de mener une méditation, une séance de yoga par visioconférence. J’y étais même plutôt réticente. Ma première méditation guidée à distance a été un vrai défi pour moi et je n’en menais pas large. Ma première séance de yoga guidée via Zoom a aussi été un vrai défi. Aujourd’hui, mon système a intégré tout ceci. Je le fais sans appréhension, et de manière quasi automatique. Le mental est un instrument extraordinaire. Sans lui, nous ne pourrions rien faire.
Samskāra qui font souffrir : le yoga appelle les imprégnations qui forment notre mental, des samskāra. Dans les Yoga sūtra, Pataňjali nous dit dans le sūtra II 15, que ces conditionnements, ces habitudes sont une grande source de souffrance. Durant le confinement, de nombreuses personnes ont souffert de devoir changer leurs habitudes : habitudes de travail, habitudes de relations humaines, habitudes au niveau du rythme familial etc. Ces mêmes personnes ont parfois souffert d’avoir à changer leur rythme de vie lors du déconfinement. Le système n’aime pas être bousculé dans ses habitudes, dans ses modes de fonctionnement conditionné. Et c’est une source de souffrance. Quand nous avançons en âge et que nous ne pouvons plus faire les mêmes choses qu’avant. Quand la vie professionnelle bouscule nos habitudes et que nous devons changer nos manières d’opérer. Quand nos enfants grandissent et nous obligent à revisiter notre façon de se comporter avec eux.
Et même quand nous devons changer un mode de fonctionnement qui nous fait souffrir… cela nous fait souffrir. L’autre jour, j’ai mangé avec un couple d’ami. Lui, ne digère pas bien le pain. Il se sent beaucoup mieux quand il n’en mange pas. Mais il m’a dit : « Mon système ne supporte pas bien le pain, mais j’en mange quand même. Car cela ne m’est pas possible de m’en passer ». Il est d’origine marocaine et culturellement, le pain est la base de la nourriture. Même s’il vit en France depuis longtemps, son système est formaté pour manger du pain. Même si le pain lui fait du mal, le fait souffrir.
Les samskāra nous font agir de manière conditionnée, et cette manière d’agir n’est pas toujours adaptée. Prenons l’exemple d’un individu qui a vécu dans un environnement violent durant son adolescence. Cet environnement a développé chez lui une attitude d’agressivité, de défense constante. Des années après, cette personne vit dans un autre type d’environnement, apaisé et bienveillant. Et garde cette attitude de défense même si elle n’est plus adaptée. Cela vous paraît « normal », n’est-ce pas ? Et c’est ainsi que nous fonctionnons tout le temps, avec des attitudes apprises, conditionnées, qui ne s’adaptent pas forcément à la situation du moment. Malgré leur nécessité, les samskāra peuvent donc être une cause de souffrance, qu’ils soient conscients ou inconscients.
Samskāra qui ne font pas souffrir : mais les Yoga sūtra nous disent que ces samskāra peuvent être très positifs. En effet, nous avons la possibilité de transformer le mental, c’est même tout le propos de la pratique yogique. Nous pouvons remplacer certains fonctionnements qui nous font souffrir par d’autres types de fonctionnements. Nous pouvons nous reconditionner. Dans le I 50 et le III 10, Pataňjali nous dit que le fait de nous imprégner du calme mental, d’apaiser de plus en plus nos émotions, va créer une nouvelle manière de fonctionner, un nouveau chemin. La méditation agit de cette manière en donnant, peu à peu, au mental l’opportunité de créer d’autres modes d’action. De ne plus être dans la réaction, mais dans l’action.
Notre système va tout mémoriser. Donnons-lui à mémoriser des comportements bénéfiques pour nous et il va aller dans ce sens. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, mais c’est possible. Il est possible de moins souffrir des schémas mentaux qui apportent de la souffrance. Il est possible de déconditionner notre psychisme. Méditons pour donner à notre mental une habitude, un samskāra de paix.