Le yoga ne concerne pas seulement les ascètes vivant dans la solitude. Et le texte des Yoga sûtra nous incite plusieurs fois et dans de nombreux aphorisme à ajuster notre manière de vivre avec l’autre. A changer, façonner nos liens avec l’autre. Il nous indique l’attitude appropriée à développer dans la vie quotidienne. Ceci dans le but que notre mental reste calme. Afin de développer en nous des émotions positives, non perturbantes. Afin de ne pas être ballotés à longueur de journées par des sentiments contradictoires, changeants, chaotiques au gré de nos ressentis. Taimni, un commentateur des Yoga sûtra nous dit que : « L’homme – bien souvent – n’a pas de principe bien défini pour contrôler ses réactions Il réagit de façon désordonnée selon ses caprices et ses humeurs, avec ce résultat qu’il est constamment troublé par toutes sortes d’émotions violentes ».
Ainsi, Patanjali, l’auteur des Yoga sûtra nous incite à orienter notre psychisme dans des directions choisies (le terme psychisme ou mental, citta en sanskrit, englobe tous nos fonctionnements mentaux, émotions comprises). Le sûtra I 33 nous invite à colorer notre mental par des attitudes qui l’amèneront à plus de calme, de sérénité. Qui l’éloigneront d’émotions telles que la colère, le ressentiment, l’envie, la convoitise, le mensonge, l’agressivité, la violence, la jalousie ou toute autre émotion perturbante. L’auteur, Patanjali, nous propose quatre attitudes qui permettent de garder l’esprit clair. Il s’agit de purifier le mental. Il faut donc commencer à vivre selon un état léger et purifié.
La première attitude est maitrī, que l’on traduit par amitié, attitude amicale, bienveillance, amour. Le sûtra nous propose de teinter notre mental de ce sentiment dès que nous sommes confrontés à la joie de quelqu’un, dès que quelqu’un est heureux. Pas de jalousie parce que certains sont heureux alors que nous traversons une période difficile. Le bonheur de l’autre nous remplit de bienveillance, d’amitié. En ce moment, le fait que certains confinent dans de meilleures conditions que nous, par exemple, peut nous faire voir notre situation comme plus difficile qu’elle ne l’est en réalité. Une maison avec jardin, alors que nous vivons en appartement. J’ai deux amis qui continuent à télétravailler, qui continuent à percevoir leur salaire et qui, à la fin du confinement, seront assurés de garder leur emploi. Alors que mon mari – commerçant – a dû fermer son magasin, n’a plus de revenu, a pris un emprunt bancaire pour faire face aux échéances financières et ne sait pas si son activité reprendra à la fin du confinement. Et, de mon côté, travailleur indépendante, je suis en train d’annuler des stages. Est-ce que je dois éprouver de l’aigreur devant cet état de fait ? Non, au contraire, le fait de se réjouir du bonheur, de la chance de l’autre va apaiser le mental. Ainsi, je pourrai me concentrer sur ma tâche, je pourrai être présente à ce qui est. La jalousie, l’envie vont déformer la vision d’une situation et nous allons dépenser beaucoup d’énergie à ressasser des rancœurs, énergie qu’il vaudrait mieux mettre à vivre notre situation telle qu’elle est.
La deuxième attitude que nous suggère Patanjali est karunā, traduit par compassion. Bienveillance et compassion sont les deux attitudes de vie que le bouddhisme transmet, lui aussi. Il en même fait le cœur de son enseignement. La compassion envers ceux qui souffrent, nous dit Patanjali, est un baume pour notre mental. Ressentir au fond de soi la souffrance de l’autre, ne pas la balayer d’un revers de la main parce que, pour nous, cette souffrance n’est pas justifiée. Par exemple, quelqu’un qui, selon nos critères, a tout pour être heureux et qui ne l’est pas. Une de mes élèves est, depuis de longues années, habitée par un mal être, une souffrance de vie. Elle a un mari aimant et attentionné qui a bons revenus et lui permet une vie matérielle très confortable : belle maison, nombreux voyages d’agrément, la possibilité de ne pas travailler et de faire ce qui lui plait. Elle est jolie femme et en bonne santé physique. Malgré tout, elle souffre. Elle a des angoisses de vie dès le matin et doit se faire violence pour sortir de son lit. Si l’idée : « elle devrait se secouer. Elle se plaint alors qu’elle a tout pour être heureuse » nous vient à l’esprit, cela ne l’aidera pas. Mais, en plus, notre mental va se resserrer, se crisper. L’attitude de jugement crispe. Et nous avons déjà vu que cette crispation est de la souffrance, dukha qui veut dire espace restreint.
La troisième attitude présentée est celle de muditā, la joie, la gaieté, l’enthousiasme, la réjouissance. Se réjouir quand quelqu’un fait quelque chose de bien, de vertueux, une belle action. Hier, mon mari et moi, en nous promenant dans notre quartier, nous avons vu une dame qui, sur le pas de sa porte donnait à une autre dame, des masques en tissu. Nous nous sommes arrêtés et avons discuté (en respectant les distances de sécurité). Cette dame avait déjà fabriqué 380 masques et les donnait aux personnes qui la contactaient. La marche, après cette rencontre m’a paru plus belle, le ciel plus bleu, les fleurs plus colorées. Ce geste gratuit m’avait rendue plus gaie, avait éclairé mon présent. En ce moment, il est possible de se nourrir mentalement de toutes les belles actions qui sont faites, pas seulement des horreurs que ne manquent pas de nous détailler les journalistes. En ce moment, mais pas seulement. Nous pouvons regarder les belles choses tous les jours. Et en ressentir de la joie. Cette joie amène du suhkha, du bonheur, de l’espace dans notre système.
La quatrième attitude que suggère Patanjali n’est pas la plus facile à comprendre et accepter. C’est upekṣāṇā, la neutralité, la tranquillité d’esprit, le détachement bienveillant, le recul, la distanciation, la retenue. Il nous est suggéré, face aux erreurs commises par les autres, de rester neutres. Si, dans le travail, quelqu’un fait une erreur, que nous ne pouvons pas agir sur cette erreur, pourquoi se prendre la tête avec ? Pourquoi passer des heures à en discuter autour de la machine à café ? Cela obscurcit notre mental, augmente les vrittis, les mouvements incessants du psychisme et… ne change rien à la situation. Nous avons perdu notre temps, notre tranquillité d’esprit et… la situation n’a pas évolué. Autre exemple : une de mes élèves travaille dans le milieu de la coiffure. Aujourd’hui, les coiffeurs s’inquiètent pour la reprise de leur activité au niveau de la sécurité. Ils cherchent à se procurer des produits jetables en grand nombre : peignoirs, serviette, masques, gants. Ils angoissent de ne pas en trouver suffisamment. Cette élève s’inquiète des effets négatifs de la surconsommation de tous ces produits jetables. Elle est touchée par l’augmentation de la pollution que cela va engendrer. Et cela joue sur son moral. Comment cette élève peut-elle se positionner face à ce type de comportement qui la choque et sur lequel elle ne peut pas agir directement ? Patanjali conseille neutralité. Ce qui n’empêche pas l’action, bien au contraire.
Le mot yoga signifie lien, union, relation. Il s’agit d’unir son âme individuelle à l’âme universelle, pas de se replier sur soi. Ceci ne se réalise pas seulement avec des postures et des techniques respiratoires, cela peut s’accomplir en mettant de l’espace, de l’ouverture dans notre attitude vis-à-vis des autres. Cet espace, cette ouverture vont créer des liens confortables avec les autres et le monde. Pour que l’union avec le grand Tout puisse se faire.