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Comment est perçu le corps dans le chemin yogique ?

En fait, le corps est perçu de nombreuses manières, selon les types de yoga : si on est dans la voie du bhakti yoga, le yoga de la dévotion, le corps sera appréhendé différemment que dans la voie du karma yoga, le yoga de l’action. Si je me réfère à deux grands textes de yoga : les Yoga sūtra de Pataňjali (qui font référence à ce que l’on nomme le raja yoga, ou yoga royal) et celui de la Haṭha Yoga Pradīpikā (qui, comme son nom l’indique, développe la théorie du hatha yoga), le corps doit être intégré dans la voie libératrice du yoga. Dans le hatha yoga, le corps est même l’outil numéro un pour se libérer des souffrances de ce monde.

En grande majorité, les occidentaux ont adopté le chemin corporel du yoga. Mais même dans cette voie, le corps n’est pas le but. Les yogis mettent en avant le corps en nous disant qu’il faut le discipliner, le purifier, le nettoyer. Ils proposent des postures, pour rendre le corps fort et en bonne santé. Ils proposent des techniques de souffle poussées pour contrôler l’énergie qui nous fait vivre. Mais à aucun moment, le corps n’est vu comme une finalité. Les indiens sont bien trop réalistes, trop conscients de la finitude du corps de chair pour s’y attacher plus que de raison. Prendre soin de notre enveloppe corporelle ne veut pas dire s’y attacher.

Bien au contraire, prendre soin de son corps, c’est le reconnaître pour ce qu’il est : un ensemble d’éléments nécessaire au quotidien, qui doit tomber le moins souvent possible malade. Pour nous permettre de nous occuper d’autre chose que de lui. Le corps est un véhicule utile… mais qui vieillit et meurt. Ainsi, dans la vision yogique et indienne du corps, pas d’idolâtrie : le corps est à notre service et non l’inverse. L’idolâtrie du corps est celle du matérialisme qui nous limite à notre matière mortelle, qui en fait notre identité. Dans un monde matériel, l’apparence extérieure est perçue comme le reflet de ce que nous en réalité au fond de nous. C’est ainsi que l’on met à l’écart les vieux, les handicapés, les malades, qui sont jugés uniquement par rapport à leur apparence palpable

Dans la vision yogique et indienne du corps, il n’y a pas d’attachement au corps et, par là même, il n’y a pas non rejet : le corps, même s’il est limité dans le temps et l’espace ne doit pas être méprisé et moins bien considéré que le mental, l’intellect. Ainsi, il n’y aurait pas une partie noble de notre système : l’esprit, et une partie moins noble : le corps, que les religions occidentales ont longtemps diabolisé.

La vision binaire de l’enveloppe qui nous véhicule tous les jours n’est pas celle du yoga qui nous invite à nous connecter à notre chair pour en faire un serviteur fidèle, au sens noble du terme. Et même plus, qui nous invite à nous connecter à notre corps pour toucher les autres plans de notre système.

Comment transformer notre corps de chair en allié ?

En s’occupant de lui au quotidien :

Je le vois tous les jours dans les cours de yoga : beaucoup d’occidentaux sont coupés de leur corps : ils n’ont pas conscience de la douleur : ainsi, cette femme qui, au cours d’une séance individuelle de yoga m’a dit : « Je savais que j’avais des tensions dans la nuque et les trapèzes, mais je ne savais pas que je souffrais autant ». Les messages du corps dense ne sont pas toujours entendus.

Je vois aussi des personnes qui ne connaissent pas les limites de leur corps : trop de sports, trop de stress, trop d’activité, trop de volonté. Et quand le corps envoie des signes de faiblesse…. Pas de réaction. C’est quand le corps lâche que nous agissons. Ainsi, notre médecine est basée sur ce principe : tant que tout va bien, on ne s’occupe pas de notre carcasse. Le médecin n’intervient que lorsque la machine tombe en panne. En Inde, la médecine traditionnelle fonctionne sur les mêmes principes que la médecine traditionnelle chinoise : on s’occupe du corps tous les jours afin qu’il fonctionne le mieux possible, en prévention. Cela n’empêche pas les accidents de parcours, ni toutes les maladies… mais les bobos du quotidien sont moins nombreux

Le yoga s’inscrit dans cette démarche.

On peut pacifier notre corps de chair en s’occupant aussi de nos émotions et de notre mental :

Tout le monde parle de la somatisation. Dans la vision du yoga, tous nos systèmes sont liés : le système émotionnel doit être l’objet de nos soins car il ne peut être dissocier de notre enveloppe de chair dense. C’est ainsi que le texte des Yoga sūtra, la quasi-totalité des 195 aphorismes parlent de notre mental, le citta. Ce mental qui doit être pacifié, voire dépassé, comme court-circuité.

Pacifier nos émotions, nous en avons bien besoin en ce moment où la peur, la colère, la tristesse, le désarroi peuvent nous fragiliser. Ce week-end, après l’annonce arbitraire de la fermeture de toutes salles proposant des activités physiques, j’ai vu mon système basculer dans la colère… Je l’ai vu, j’ai essayé de le retenir… mais le combat fut difficile. Les 2 jours au cours desquels les émotions se sont bousculées en moi… mon corps a été fatigué. Je l’ai senti se vider de son énergie. Le fait de revenir à des sentiments plus posés, de sortir de cette vague émotionnelle m’a permis d’avoir l’esprit plus clair et surtout… le corps moins fatigué. Selon le docteur Chandrasekaran, la fatigue physique n’existe pas, elle vient juste du mental. Certes, cette affirmation est un peu excessive… Mais, elle est juste dans le fond.

Pour prendre soin de notre corps, prenons aussi soin de notre système émotionnel. Les yogis le savaient bien, puisqu’une grande partie de leurs pratiques concernaient les techniques de souffle : ces techniques représentent LE grand moyen pour toucher le mental et apaiser notre système émotionnel.