La semaine dernière, deux collègues m’ont fait part de remarques qui m’ont amenée à écrire le texte ci-dessous. La première disait : « Cette période de crise sanitaire mondiale nous met face à l’incertitude. Elle nous demande de revoir nos comportements, idées, actions à chaque instant ». Mon deuxième collègue m’a écrit : « C’est vraiment un test pour notre foi dans la vie cette histoire »
En effet, cette période incertaine qui nous oblige à tout revoir, nos gestes les plus habituels, nos activités professionnelles, notre manière de nous mettre en relation avec les autres. Bref, tout est chamboulé : notre quotidien, notre présent. Mais aussi notre avenir que l’on ne peut plus projeter. Nous ne savons plus comment agir. Notre système, qui fonctionne avec ses habitudes est déstabilisé. Et cela ébranle notre confiance dans la vie.
Comment garder confiance, alors que nous ne pouvons pas nous raccrocher à une certitude ? Et pourtant, sans confiance, comment être stable ? Comment avancer ? Sans confiance, sans foi dans la vie, comment poser un pied devant l’autre, comment avoir assez d’énergie pour monter ses projets ?
En sanskrit, la confiance se dit śraddhā. Le mot śraddhā veut dit foi, confiance, croyance, dévotion, fidélité, loyauté. La foi est une des 6 vertus cardinales dans le vedanta
Le yoga sūtra I 20 nous explique qu’il est fondamental d’avoir confiance pour avancer sur la voie du yoga… et – par extension – sur son chemin de vie en général. La confiance est le déclencheur d’un état physique, énergétique, spirituel qui amène au samâdhi. A l’état de pureté du mental qui devient transparent, qui ne fait plus obstacle à la réalité du monde.
En présence de la confiance, sradhhā, l’échec lui-même est considéré comme utile : il permet de tester la force et la qualité de la foi. Chaque erreur, chaque revers se transforme en tremplin, la personne repart de plus belle avec encore plus d’entrain.
Ce sutra nous dit que la confiance est le socle de tout. La confiance va nous apporter 4 grandes qualités :
1- La force d’entreprendre, l’énergie pour avancer (vīrya) : le terme de vīrya englobe l’idée d’énergie, de détermination, de courage, de tous les aspects d’une volonté indomptable qui surmonte tous les obstacles. Aujourd’hui, j’entends beaucoup de personnes qui se sentent fatiguées, qui manquent d’énergie. C’est normal lorsque la confiance en l’avenir est ébranlée. Un des grands buts du yoga, c’est justement de renforcer le système. Par des postures, par des techniques de souffle, par la circulation de l’énergie dans le corps, par la méditation. Postures, souffle et méditations enlèvent des nœuds. Éclaircissent le mental qui se trouve moins confronté au doute. Le doute samśaya est un des grands obstacles sur la route du yoga et de la vie. On passe tous par ces périodes d’indécision… qui sont autant de perte de temps et d’énergie. Car, pour arriver à poursuivre notre chemin, il faut persévérer sans arrêt et sur un long temps.
2- La confiance va aussi renforcer notre mémoire (smrti). La mémoire de là d’où nous partons, du chemin et du but : si nous manquons d’énergie, la mémoire nous fait défaut. Les jours de grande fatigue, nous en oublions même la direction vers laquelle aller. Quand tout est flou et que nous devons réapprendre toutes nos manières de vivre, il est important de garder la mémoire du chemin. Même si aujourd’hui, mon activité n’a plus rien à voir dans la forme avec ce qu’elle était il y a deux mois, je ne dois pas oublier ma fonction, qui est la transmission. Peu importe comment je transmets (visio ou cours en direct). Mais la perte de confiance, la perte d’énergie peuvent me faire oublier ceci. Je connais une collègue qui, aujourd’hui, se désole de tout ce qui se passe dans le monde au niveau politique, son mental est plein des mensonges, détours que certains gouvernements font. Elle ne donne plus de cours, elle a oublié son rôle, sa place. Du coup, elle est fatiguée. Peu à peu, elle perd la foi et se laisse envahir par tous les doutes qui l’entourent. Et il y en a beaucoup en ce moment. Smṛti, la mémoire, nous donne la capacité de nous rappeler la direction suivie, sans équivoque, sans hésitation
3- La capacité de se concentrer (samādhi) : l’état de samādhi correspond, dans ce sûtra, à un état de vigilance, de concentration parfaite, de présence, d’harmonie intérieure. La capacité de se concentrer est précieuse pour construire sa route. La concentration permet d’être plus efficace dans l’action. Elle permet de ne pas se laisser distraire. Se concentrer sur « ce qui est » diminue les fluctuations du mental, éloigne le doute, l’abattement, l’erreur de jugement, tous les obstacles du mental qui se dressent sur notre route. Une de mes élèves m’a envoyé un e-mail ce matin m’expliquant que, la fin du confinement arrivant, elle voyait son stress augmentait : reprendre le travail avec tous les gestes barrière va être compliquée pour elle et génère des tensions. Je lui ai conseillé de se concentrer sur les actions qu’elle devait faire, sur sa mission, sur le rôle qu’elle doit continuer à remplir. Elle m’a répondu que j’avais raison : quand elle était dans l’action, elle allait mieux. Voici ce qu’elle écrit : « quand je me mets dans l’action je ressens moins de stress, dès lors que j’analyse et que je me laisse happée par le stress des autres, je stresse moi aussi. ».
4- La connaissance : cet état de concentration parfaite donne la connaissance. Pas le savoir des livres. Non. La connaissance du monde tel qu’il est, de la réalité du monde. L’état de samādhi est celui de la connaissance du monde.
Un autre texte, la Taittirīya Upaniṣad (une des plus anciennes Upaniṣad majeures, écrite entre 600 et 500 ans avant notre ère) parle aussi de la foi. Ce texte, antérieur aux YS, nous explique – lui aussi – que śraddhā donne la direction, qu’elle entraîne vers l’avant. Ce texte précise en plus quelque chose de fondamental : sraddhā est en nous comme nos autres organes. Elle ne se trouve pas en dehors de nous. Il n’y a rien à aller chercher en dehors de nous. Sraddhā se situe au niveau de notre personnalité profonde (Vijñānamaya).
C’est notre enveloppe de pensées (manomaya), notre éducation, notre culture… qui nous font croire que nous manquons de confiance, qui nous font douter. Śraddhā ne vient pas de l’éducation, ni de l’expérience, mais de quelque chose de plus profond. Il y a une conviction et l’action jaillit, sans être ni vertueuse, ni mauvaise : quand on est dans la réalité intime, il n’y a pas de dualité. Quand śraddhā est présente, on a la vision de la vérité exprimée (satyam) et de la vérité perçue (rtam). Dans ce cas, il n’y a pas moi et mon. On travaille pour le tout.